Les fondamentaux du phygital commerce, par Maxence Dislaire, expert phygital commerce [interview]

La contraction de “méta” et “universe” donne “métaverse”. Mais qu’est ce que donne la contraction de “physique” et “digital” ? “Physital” , “Phygital ? Et c’est quoi au juste le “phygital” ? Un mélange entre le “e-commerce et les magasins” comme bon nombre de personnes le pensent ? Pour vous parler de ce terme nébuleux, galvaudé et à la mode, nous avons interviewé l’expert français du phygital commerce : Maxence Dislaire.

Maxence Dislaire

Le « Chevalier du Phygital Commerce »

Maxence Dislaire est un pionnier. En 2010 il a le nez creux. Convaincu que le Retail tel qu’on le connaît n’existera plus d’ici quelques années, il décide de partir en croisade en montant sa boîte : Improveeze. Celui qui se définit comme le “Chevalier du Commerce Phygital” mène depuis une campagne de sensibilisation à l’égard des retailers et pure players.
Son combat ? Aider les acteurs du retail qui connaissent une perte de vitesse ou qui veulent ouvrir des points de vente physiques. Comment ? En les aidant à se réinventer au travers d’un concept : le phygital commerce.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je viens du monde du digital, et je suis ingénieur de formation. Depuis près de 15 ans, je cherche la bonne manière de vendre avec des écrans interactifs. J’analyse les magasins sous l’angle du digital en magasin, pour aider tous les commerçants physiques à ne plus dépendre de leurs mètres carrés. J’aide les commerçants à ne plus être enfermés dans cette prison de mètres carrés et ne plus dépendre de leurs stocks pour être capable de vendre sans aucune limite. Grâce à des outils digitaux. Il y a énormément de bruits, de tests, d’échecs sur ce sujet en retail.

Et à force d’avoir analysé des centaines de magasins en France et partout en Europe, j’ai fini par découvrir la recette des choses qui marchent et celle qui ne marchent pas. Il est même parfois possible d’expliquer pourquoi cela ne marche pas. Mais cette recette-là n’existe dans aucun livre aujourd’hui. Il n’y a pas de livre sur le “Phygital Commerce”. C’est peut-être pour cela que certaines personnes ne savent pas que le phygital commerce existe. Au risque de se dire “Je vais installer des bornes en magasin et avec mon site e-commerce, ça fera l’affaire”.

Qu’est ce qui t’a amené à t’intéresser au sujet du phygital commerce ?

Il y a 15 ans, ma bande de potes et moi avons décidé d’offrir à notre ami d’enfance, une guitare électrique pour son anniversaire. C’est moi qui suis chargé d’acheter son cadeau. Deux solutions s’offrent à moi. La première, c’est Internet. Sauf que comme je ne suis absolument pas musicien, je ne peux pas chercher d’ampli, ou de guitares sur Internet. Je ne saurais même pas quel mot-clé mettre. Et même si j’achetais quelque chose, je suis un peu près certain que ce serait décevant pour mon ami. Donc je décide d’aller voir un spécialiste dans un très grand magasin du Nord de la France qui fait 3000 m2.

Je rentre dans le magasin et je vois sur ma droite des centaines de guitares accrochées sur le mur. Mais au bout de 20 minutes de visite guidée, je reviens bredouille à l’accueil. L’ampli, la guitare et l’étui à guitare que je recherchais étaient introuvables.

Comme je suis néophyte et que je ne connais pas les magasins de musique, je demande naturellement au vendeur de m’indiquer d’autres points de vente dans la région. Je le vois très gêné. Puis il regarde autour de lui et me dit “Suivez-moi”. Il retourne sa caisse, sort son clavier, sa souris et commence à chercher sur Internet des guitares sur les sites de ses concurrents…Pendant 45 min.

Donc c’est à la suite d’une mauvaise expérience que tu t’es intéressé au sujet ?

Exactement ! A l’époque, je n’avais pas passé un bon moment avec ce vendeur lorsqu’il était sur Internet parce qu’au final, il faisait tout et moi rien, j’étais très passif. Je n’avais pas apprécié ce cérémonial de vente.

Cette expérience-là m’a beaucoup fait réfléchir car en en apparence on pourrait se dire que le vendeur a commis une faute professionnelle. Mais ce jour-là, je me suis dit que le problème n’était pas le vendeur mais plutôt le modèle économique du magasin qui était obsolète.

Ce jour-là, j’ai également compris que les magasins étaient en train de “crever la gueule ouverte”. Le magasin est contraint par des mètres carrés et des stocks. Comment rivaliser avec une entreprise qui a un énorme catalogue et qui le promeut sur Internet ?

Peux-tu nous définir plus précisément la notion de “Phygital” ?

Le phygital c’est tout ce qui est digital dans les lieux accueillant du public. Ça inclue :

  • les magasins
  • les salles de sport
  • les gares
  • les aéroports
  • les distributeurs automatiques de billets
  • les écrans de publicité dans la rue
  • les plans interatifs….

Le phygital commerce c’est le phygital qui est lié au commerce. Comme le commerçant ne peut pas avoir des stocks infinis dans des mètres carrés qui sont finis, il va utiliser le digital pour vendre. Par conséquent, le phygital commerce répond à une problématique de vente, d’espaces, de mètres carrés. Et ces outils digitaux-là (tablette, mobile, borne…) sont ceux du commerçant.

L’idée du phygital commerce c’est de procurer la meilleure expérience de vente possible. Or en utilisant le téléphone des clients on ne peut pas tenir cette promesse. Si on laisse le client interagir avec son propre téléphone, on devient dépendant de son réseau mobile, de l’état de sa batterie ou de son téléphone. C’est pourquoi la meilleure expérience client en matière de cérémonial de vente, c’est lorsque le commerçant gère lui-même les outils digitaux. 

En substance, le phygital commerce c’est le matériel dont dispose le commerçant qui n’appartient par extension pas aux clients.

A l’inverse, dans le e-commerce, c’est le client qui maîtrise son matériel : ordinateur, tablette, téléphone. Le consommateur est chez lui.

Voilà pourquoi je préfère utiliser une définition de sens plus qu’une définition issue du marketing. Un entrepreneur qui a besoin d’exécuter un plan business clair, précis, de briefer ses équipes, de les missionner, a besoin d’avoir une définition de sens pour appliquer sa stratégie.

On confond souvent omnicanal et phygital, peux-tu nous éclairer à ce sujet ?

Effectivement, le phygital commerce n’est pas à confondre avec l’omnicanal, une erreur qui est souvent faite. Quand vous recherchez le mot “phygital” sur Google, vous tombez souvent sur des articles où vous voyez le mobile du client en point de vente.

 

 

C’est très confus car il n’y a pas de règles sur le sujet. D’ailleurs, les trois principaux usages du téléphone mobile en magasin sont :

  1. prendre des photos
  2. téléphoner
  3. rechercher sur Google

C’est rarement pour acheter en magasin. Si vous souhaitez avoir la meilleure stratégie omnicanale possible, vous avez besoin d’être : 

  1.  le meilleur en e-commerce 
  2.  le meilleur sur la partie physique.
    Et pour être le meilleur sur la partie physique, il faut que vous ayez du digital dans vos points de vente. Donc vous devez être le meilleur sur la partie phygitale.


Vous avez des pure players comme
ProjetXParis qui ont ouvert des magasins sans aucun matériel digital. Mais ils s’inscrivent dans une stratégie omnicanale : ils ont un site web, des magasins…Mais à l’intérieur du magasin, il n’y a pas d’outils digitaux qui permettent de faire du phygital commerce. Si vous voulez atteindre le stade ultime de l’omnicanal, vous avez besoin de passer au commerce alternatif et phygital.

Quelles sont les raisons pour lesquelles peu d’enseignes ont encore vraiment accéléré sur le sujet ?

Le phygital commerce est un métier qui n’existe pas vraiment en tant que tel. Si vous cherchez des écoles de commerce spécialisées en phygital commerce vous n’en trouverez sans doute aucune. Pourtant, il y a des écoles de commerce spécialisées en digital, en e-commerce etc…

Certains considèrent que c’est une extension ou une variante du digital. En échangeant avec beaucoup de personnes, j’ai parfois entendu “c’est un peu près du e-commerce sauf que c’est en point de vente” , “nous on va mettre notre site e-commerce en magasin”.

C’est généralement très artisanal parce qu’il n’y a pas de recette. Il n’y a pas de livre qui nous dit que le phygital commerce c’est telle ou telle chose, comment il faut faire pour le mettre en œuvre et pourquoi il faut le faire de cette façon-là.

Il existe des livres sur le e-commerce qui listent la recette. Par exemple, si un commerçant n’optimise pas son site web pour les moteurs de recherches son site web n’ira pas bien loin. Il en va de même pour le référencement naturel. Ce sont des ingrédients de la recette.

Le phygital commerce c’est une autre recette qui n’est pas accessible facilement, il a fallu que je l’invente, que je l’analyse moi-même ces 15 dernières années et au-delà de cela, quand on ne sait même pas que la recette existe, on essaye de la déduire. C’est l’intuition qui va parler, le bon sens. Mais parfois le bon sens peut vous amener à faire des choses catastrophiques.

Je vais vous donner un exemple. Il y a quelques semaines,  je suis allé voir un pure player qui a ouvert un point de vente physique. Il a probablement dû se dire “Je vais prendre mon site e-commerce et le mettre en magasin”. Pourquoi ? Parce qu’au moment de payer, il propose de payer via PayPal :

 


PayPal dans le e-commerce c’est plutôt une bonne pratique. C’est connu et apprécié des consommateurs. Pourtant une bonne pratique dans le monde de l’e-commerce devient une très mauvaise pratique dans le monde réel. Pire que tout, ce n’est pas légal.

A quel moment / A partir de quelle taille une enseigne doit-elle l’envisager ?

Ce que je constate depuis 15 ans, c’est que toutes les tailles d’entreprises sont passées au phygital commerce : 

  • Des entreprises qui avaient déjà des points de vente physiques.
  • Des pure players qui voulaient en ouvrir.
  • Des petits commerçants qui voulaient développer leur activité.


Parce que les entreprises qui y ont recours ont un énorme caillou dans leurs chaussures. Elles ne peuvent pas écouler leurs produits car elles n’ont pas suffisamment de places en magasin. Au-delà du handicap évident, elles se mettent en défaut concurrentiel par rapport à des concurrents en ligne. En réalité, il n’y a pas de taille idéale. Tout simplement parce que c’est très vite rentable. 

Prenons un exemple. Un magasin de jouets qui a 120 mètres carrés et un trampoline aura des difficultés à le vendre.
Avec une borne, vous ne prenez pas de risque sur votre trésorerie, vous n’avez pas de loyer correspondant au trampoline qui prend énormément de place dans votre magasin, vous n’avez pas non plus à payer la manutention et le temps de mettre ce trampoline en zone d’exposition (décartonner, enlever les palettes, le mettre en magasin, l’étiqueter…). Cela prend un temps fou.

Le commerçant qui arrive à vendre un trampoline à 600 euros depuis une borne, je peux vous dire que ces 600 euros-là valent beaucoup plus que ceux du trampoline immobilisé en magasin.

Aujourd’hui le modèle traditionnel du commerce tel qu’on le connaît aujourd’hui, c’est-à-dire piloter par les stocks et les mètres carrés est mort. Il n’a plus aucun avenir. Pourtant c’est encore 99% du paysage.

Peux-tu nous présenter quelques exemples d’enseignes qui auraient dû prendre le virage du phygital commerce ?


Si je veux rester dans mon domaine d’expertise, je vais vous parler de 
PicWicToys. C’est la même histoire que Camaïeu sur le fond du modèle économique. Mais elle est plus facile à faire comprendre. PicWicToys a un peu moins de 100 magasins.

Je suis allé dans l’un d’entre eux pour analyser ce qui s’y faisait. Au rayon plein air, j’ai vu ça :

 


Imaginez un instant le nombre de jeux de plein air que vous pouvez trouver chez Amazon.

D’un point de vue concurrentiel, ça n’a plus aucun avenir. Ceci n’a aucun sens face à l’offre des autres entreprises qui ont un positionnement à  gamme large.

Ce que j’appelle le “cancer du retail”,  dont de nombreuses entreprises ont été victimes et seront victimes dans les années à venir, c’est le modèle économique “des 4 murs”.

Peux-tu nous présenter quelques exemples de phygitalisation réussies ?

Il y a 3 mois je suis arrivé à une conclusion très étonnante. J’ai cru pendant 15 ans que le marché du digital en point de vente serait pris et dominé par les retailers historiques : ceux qui ont de grandes chaînes de magasins et depuis que je travaille avec des pure players, j’ai remarqué qu’ils étaient beaucoup plus performants à tous les niveaux : en terme de chiffre d’affaires, d’agilité, de performance, de puissance de modèle économique, des compétences des équipes…

Maintenant, je pense que ce sont les pure players qui vont dominer le retail de demain. Leur positionnement fait d’eux des entreprises très sensibles aux problématiques liées aux stocks, la trésorerie ou à la manutention. Les pure players veulent être hyper spécialisés dans un domaine précis et pour se faire ils doivent, proposer le catalogue de produits la plus large possible sur le segment en question.

Ce positionnement se fait également ressentir en magasin. Les vendeurs ont la capacité de conseiller les clients sur plus de produits que leur magasin peut en compter. Là ou les vendeurs des retailers historiques étaient habitués à uniquement vendre ce qu’ils avaient sous leurs yeux ou en stocks.

Basket4Ballers


Basket4Ballerz était pure player PrestaShop depuis 13 ans. Puis ils ont finalement décidé d’ouvrir un magasin puis un deuxième à Paris. Lorsqu’un pure player ouvre un magasin, c’est un énorme challenge.


Le pure player qui se lance à un plusieurs centaines de milliers de références en catalogue. C’est ce qui fait sa force. La raison d’être des pure players c’est de se différencier des magasins physiques en référençant toute l’offre possible sur un segment donné. Pour devenir parfois le référent en la matière. C’est ce qu’a fait Amazon. C’est ce que fait ManoMano. C’est ce que fait Motoblouz sur le segment de la Moto et c’est ce que fait Basket4Ballerz sur le segment du Basketball.

 

Les produits de la NBA, très prisés sur leur site internet, représentent 30% de leur chiffre d’affaires. Bien loin des 100 000 mètres carrés qu’il faudrait pour accueillir tous les produits du catalogue.

Comment faire pour générer du chiffre d’affaires en point de vente physique sachant qu’un tiers de ses produits NBA sont vendus en ligne ? Une technique issue du phygital commerce existe. C’est le phygital commerce proactif. Elle consiste à utiliser une borne interactive avec un système de boutons et de mindmap qui entourent l’écran. L’objectif est de représenter le fait qu’il y a plus d’offres que ce qui est visible de prime abord sur un écran ordinaire. Car avec le syndrome du paresseux, les clients ne vont que rarement sur les écrans maintenant.

En revanche, avec ce petit “coup de pouce”(nudge), il y a 2000 fois plus d’interactions écran que sur un écran ordinaire. C’est ce qu’on appelle une technique d’acquisition de trafic phygitale.

L’acquisition de trafic phygitale n’a rien à voir avec l’acquisition de trafic en ligne. En ligne, il y a Google, en point de vente phygital il y a ce “coup de pouce”(nudge) par exemple.


Motoblouz


Motoblouz suit la même trajectoire que Basket4Ballerz. C’est un pure player à l’origine qui a décidé de commercialiser ses produits en points de vente physiques. Ils ont près de 300 000 produits en catalogue. Leur entrepôt fait 60 000 mètres carrés. Mais leur magasin en fait seulement 200 ! 

C’est pourquoi ils ont installé des bornes interactives aux quatre coins du magasin. Résultat, 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires dont 80% sont faits sur les bornes interactives. La marge nette de ce 1,2 million d’euros n’aurait pas été la même si elle avait été réalisée grâce à des stocks en magasin (loyers, trésorerie, manutention…).

En conclusion, que proposes-tu avec Improveeze aux enseignes retail qui veulent avancer sur le sujet ?

Improveeze est une agence d’accompagnement global pour les pure players et retailers qui veulent ouvrir des points de vente physiques. Nous sommes en train de nous hyperspécialiser dans l’accompagnement des pure players, des DNVB qui veulent passer le cap du point de vente physique avec la bonne méthode. Et la bonne méthode c’est de refléter la puissance de son offre et la puissance de son storytelling. Nous les aidons à bâtir et déployer une stratégie opérationnelle dans le retail : nous couvrons l’emplacement, l’agencement, les outils, les méthodes, l’animation des vendeurs, la gouvernance d’entreprise, la stratégie de contenu. 

Nous fournissons également la solution logicielle et matérielle qui est dédiée au cérémonial de vente en magasin (POS, bornes interactives, mobiles vendeurs, écrans interactifs etc…). Enfin nous fournissons également des prestations liées aux matériels : installation, maintenance, hotline…

Et en parallèle, nous avons Phygital Academy, qui est un centre de formation, de coaching et de conseil en stratégie retail phygitalisée. Nous aidons les entreprises à appréhender le phygital commerce et à le mettre en œuvre.

Suivez Maxence Dislaire sur LinkedIn et venez assister au store Tour phygital qu’il anime en ligne en visio tous les premiers jeudi de chaque mois, entre 12 et 13h30 !